Au Moyen Âge, les alchimistes se sont longtemps acharnés, sans succès, à transformer le plomb en or. De nos jours, les chimistes savent qu’une telle entreprise est futile, mais ça ne les empêche pas de s’intéresser aux secrets de ce métal précieux, et en particulier à la formation des gisements d’or.

L’or se trouve généralement dans la roche au sein de veines ou de filons, qui se forment dans les failles. Jusqu’ici, l’idée était que de l’or en suspension dans l’eau s’était infiltré à travers ces fissures et s’y est lentement déposé, sur une échelle de millions d’années.

« Ce qui nous a toujours échappé, c’est ce qui distingue les gisements qui ne contiennent que quelques parties par millions d’or par tonne de roche de ceux qui en contiennent des dizaines de milliers, ou même plusieurs grammes par tonnes », explique Dominique Genna, géochimiste et professeur en sciences de la Terre à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Les géochimistes ont longtemps pensé que l’or circulait dans l’eau sous forme dissoute. Mais comme l’or se dissous plutôt mal dans l’eau, il est difficile d’expliquer la formation des filons concentrés : il aurait fallu que des millions de litres circulent dans la roche sur des périodes beaucoup trop longues… Pour plusieurs scientifiques, il devait donc y avoir un autre processus à l’origine des gisements abondants.

Ce processus, Duncan McLeish, étudiant postdoctoral au Département des sciences de la Terre et des planètes de l’Université McGill, pourrait l’avoir trouvé à Brucejack, une mine d’or des montagnes Rocheuses en Colombie-Britannique. Il le décrit dans une étude publiée en mai 2024 dans PNAS.

« En analysant les isotopes dans la roche autour du minerai d’or, nous pouvons déterminer dans quelles conditions il s’est formé, indique Duncan McLeish. Ce qu’on a trouvé autour de ces veines prolifiques, c’est la signature de l’eau de mer! »

Les richesses de la mer

Pour comprendre le lien entre l’eau de mer et la formation de l’or, il faut d’abord remonter à une autre étude, faite en 2021. Duncan McLeish et ses collaborateurs avaient alors observé, à l’aide d’un microscope électronique, le comportement des particules d’or dans de fines tranches de roche.

« On a découvert que l’or circule dans l’eau sous la forme d’un colloïde plutôt que sous forme dissoute », souligne le chercheur. La meilleure image pour représenter un colloïde, c’est du lait, une solution aqueuse contenant des nanoparticules de gras en suspension. Ces particules de gras sont chargées négativement et se repoussent les unes les autres. Avec le temps, les charges se dissipent et les particules s’agglutinent. On dit alors que le lait est caillé.

« Ici, ce sont des nanoparticules d’or qui sont en suspension, reprend Duncan Mcleish. Et comme pour le lait qui caille, il arrive qu’elles s’agglutinent, ce qui leur permet de se déposer en de fortes concentrations dans certaines veines ».

Il manquait toutefois l’élément déclenchant cette agglutination. Et c’est ici que l’eau de mer entre en jeu. « Dans notre nouvelle étude, nous avons découvert que les ions sodium [qui forment le sel de mer avec les ions chlorure] étaient la clé pour amorcer cette agglutination. Quand l’eau de mer entre en contact avec le fluide chargé en nanoparticules d’or, le sodium déclenche le processus, et on obtient une forte déposition d’or. »

La découverte a un immense potentiel économique. Si les veines avec beaucoup de valeur se forment au contact de l’eau de mer, cela permet d’affiner les recherches de prospection en ciblant des sites qui ont été en contact avec l’eau de mer dans le passé, ou même des sites sous-marins. Cela pourrait du même coup éviter des dommages environnementaux associés à l’exploration ou l’exploitation de sites peu rentables.

Dominique Genna, qui n’a pas contribué à ces travaux, précise que, bien que la découverte soit d’un grand intérêt, elle ne concerne pas l’ensemble des sites aurifères.

« Le type de minéralisation décrite dans l’étude n’en est qu’un parmi plusieurs, explique le chercheur. Si on pense à Val-D’Or, au Québec, on est en plein Bouclier canadien, et l’or qu’on y trouve est d’origine magmatique. Ce mécanisme, bien que nouvellement décrypté, ne concerne donc que des sites où la tectonique a fait remonter le plancher océanique pour former des chaînes de montagnes récentes, comme dans l’Ouest canadien ». Un soulèvement qui a permis de rendre accessibles des filons entrés préalablement en contact avec l’eau de mer.

Les montagnes de la côte ouest ont déjà été le théâtre de la légendaire ruée vers l’or de la fin du 19e siècle. Cent ans plus tard, la science pourrait bien contribuer à dénicher les trésors qui y sont toujours enfouis…