Depuis 2013, l’ingénieur des matériaux Jason Tavares travaille sur l’amélioration de filets qui protègent certaines plantations des insectes ravageurs. L’idée est simple : limiter le recours aux pesticides en offrant une solution verte, c’est-à-dire des filets ayant une empreinte carbone minime et pouvant être réutilisés. Le petit plus? Doter ces filets de propriétés biochimiques qui tiendront les ravageurs à distance.
« C’est vraiment un travail d’équipe! Ça serait impossible à réaliser sans l’aspect multidisciplinaire », souligne Jason Tavares, professeur au Département de génie chimique à Polytechnique Montréal. Avec des collègues de l’Université Laval et de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA), le chercheur travaille sur des filets en polymères aspergés de phéromones, des signaux chimiques que les insectes s’échangent, notamment pour localiser leurs partenaires sexuels. Rien n’est laissé au hasard : ces filets cumulent les qualités « repoussantes »!
Exclure les insectes ravageurs
Ces nouveaux filets constituent d’abord, comme tous les filets agricoles, une barrière physique (on les appelle traditionnellement filets « d’exclusion »). Alors que les filets classiques sont généralement conçus à partir de polyéthylène issu du pétrole, le filet expérimental est construit à partir d’acide polyactique (PLA), soit un plastique biodégradable obtenu à partir de maïs ou de canne à sucre fermentés.
« Il faut que la taille de la maille soit plus petite que la dimension du thorax de l’insecte ciblé », explique Jason Tavares. L’efficacité de mailles de différentes formes et dimensions selon l’insecte visé a été évaluée en laboratoire, par les groupes prenant part au projet.
Depuis 10 ans, des expériences ont été menées pour bloquer une multitude d’insectes nuisibles, notamment la tordeuse à bandes obliques, la punaise marbrée et le carpocapse des pommes. La cible actuelle des scientifiques québécois : un puceron des pommiers qui peut être tenu à distance par une maille de 0,95 mm par 1,40 mm.
À la suite de tests préliminaires en 2023, dans des conditions contrôlées, l’équipe fera avec l’IRDA des essais terrain pour mettre à l’épreuve un prototype doté de mailles de moins d’un millimètre carré.
La méthode Dip Dip Dry
La taille des mailles n’est pas la seule propriété « barrière » du filet. Celui-ci a aussi été rendu hydrophobe pour empêcher les attaques fongiques. L’équipe de Polytechnique a modifié la texture du matériau par une technique existante en chimie, mais encore jamais utilisée pour des filets d’exclusion.
« C’est un étudiant qui a eu un petit éclair de génie un vendredi après-midi et qui m’a demandé d’essayer une méthode appelée cristallisation par solvant, se rappelle Jason Tavares. Normalement, elle est utilisée pour créer des microstructures dans des polymères. Nous l’avons adaptée pour la surface du filet. »
Développée par l’équipe, la méthode Dip Dip Dry consiste à tremper d’abord le filet dans un solvant (de l’acétone), qui dégrade le PLA en petits filaments. Ensuite, le filet est plongé dans un coagulant (de l’eau) qui vient solidifier le tout. Cette méthode confère à la surface du matériau un relief très fin, dans lequel des poches d’air viennent se loger.
Celles-ci repoussent l’eau, mais sont capables d’accueillir des biomolécules, comme des phéromones.
Une couche de phéromones
Dernier rempart : les phéromones. L’emploi de ces molécules en agriculture est bien documenté, que ce soit pour repousser les insectes ou empêcher leur reproduction. Elles sont généralement diffusées en plein champ.
« Une phéromone, c’est un composé chimique excrété par un individu destiné à des individus de la même espèce », explique Cyrane Pouet, doctorante au laboratoire de lutte biologique de l’Université du Québec à Montréal, qui n’a pas pris part à ce projet. La chercheuse indique qu’il existe différents types de phéromones : sexuelles, d’alerte ou d’agrégation.
L’équipe de Jason Tavares pulvérise sur la surface du filet des phéromones d’alerte, qui sont un signal de danger émis en présence de prédateurs. Les phéromones sont retenues par la texture du filet puis elles se diffusent graduellement par évaporation. « Notre souhait, c’est que le filet entier soit traité et que l’agriculteur puisse périodiquement le recharger en phéromones », indique le chercheur.
« C’est vraiment un sujet d’avenir ! » estime Cyrane Pouet, précisant que les projets qui combinent différentes techniques, comme celui-ci, sont les plus prometteurs pour diminuer l’utilisation de pesticides.