« On est les premiers au monde à voir à quoi ressemble la protéine sur l’échelle atomique ! », s’enthousiasme Charles Calmettes, professeur au Centre INRS-Institut Armand-Frappier. Il a contribué à une étude récente publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences qui révèle la structure de la protéine kinase G (PKG) et son fonctionnement.

La petite molécule n’a pas été choisie au hasard. Elle joue un rôle important dans le développement des parasites Plasmodium à l’origine de la malaria, ou paludisme. Ces parasites sont transmis à l’humain par l’entremise de moustiques infectés, qualifiés par l’Organisation mondiale de la Santé de « vecteurs du paludisme ».

En 2017, la malaria a touché 219 millions de personnes et fait 435 000 morts à travers le monde. Des médicaments antipaludiques existent, mais les parasites développent progressivement une résistance. Les scientifiques cherchent donc de nouvelles cibles thérapeutiques, comme PKG, afin de créer d’autres traitements. Puisque la protéine intervient directement dans le cycle de vie du Plasmodium, l’objectif est de la bloquer grâce à des molécules particulières.

Le groupe de David Baker, chercheur à la London School of Hygiene and Tropical Medicine et un des co-auteurs de l’étude, travaille déjà sur quelques molécules prometteuses dans son laboratoire au Royaume-Uni. Mais sans connaître l’agencement de PKG, l’efficacité de ces molécules candidates n’est pas optimale. « En connaissant mieux la structure, on peut prédire les modifications à apporter sur les molécules pour augmenter leur affinité avec la protéine cible, plutôt que par essai-erreur », souligne Charles Calmettes.

Afin de révéler la forme de PKG, les chercheurs utilisent la cristallographie par rayons X, la même technique qui a permis de découvrir la structure en double brin de l’ADN. La première étape du processus : produire la protéine en grande quantité. Des bactéries E. coli font office d’usine de production. Une fois que ces « mini-incubateurs » ont fabriqué assez de copies de PKG, les chercheurs doivent les récupérer. « On met la culture dans une centrifugeuse pour obtenir une sorte de pâte bactérienne. On casse ensuite les bactéries pour obtenir une soupe de protéine », détaille-t-il.

Après un long processus de purification, cette soupe doit être cristallisée. À la manière des atomes d’un diamant, les protéines vont s’aligner selon un motif symétrique en trois dimensions. Pour arriver à ce genre de configuration, il n’y a pas de recette unique. Les chercheurs ne savent pas quelles conditions mèneront à la cristallisation des protéines. Ils utilisent donc des robots pour en tester plusieurs à la fois.

Une fois qu’un cristal de protéines est prêt, les chercheurs le bombardent de rayons X. Ces faisceaux frappent les électrons qui forment la structure de PKG. Les rayons sont ainsi déviés de leur trajectoire selon un angle particulier avant d’atteindre le détecteur. Les scientifiques se retrouvent alors avec un patron de diffraction, c’est-à-dire une série de points représentant l’impact des rayons X.

À partir de ces points d’impact, un ordinateur reproduit le chemin inverse des rayons X et la position des électrons frappés. Il recrée ainsi l’architecture de PKG en trois dimensions. Avec la structure entre les mains, les chercheurs peuvent bâtir un modèle de fonctionnement de la protéine pour savoir quelles modifications apporter aux molécules thérapeutiques.

Même si plusieurs étapes restent à franchir avant d’avoir un médicament contre la malaria, l’avenue est prometteuse. « On a des essais in vitro qui montrent que les molécules qui se lient à PKG empêchent la malaria d’infecter les cellules en culture. Tout ça indique clairement qu’on a une très bonne cible thérapeutique. »

Cet article est produit en partenariat avec L’Actualité chimique canadienne.