La moule bleue (Mytilus edulis) se fait balloter par les marées à longueur de journée. Et pourtant, elle tient bon. Ce qui l’attache à son rocher, c’est sa barbe composée de byssus, des filaments de fibres sécrétées par le mollusque. Dans l’Antiquité, les humains, fascinés par la soie de mer de certains coquillages, les tissaient pour fabriquer des bérets, des sacoches, des mitaines et des bas. Le secret de ces objets : au bout de chacun des filaments, une plaque collante surpuissante.

Dans un article publié dans la revue Science en octobre dernier, Tobias Priemel, étudiant au doctorat à l’Université McGill, lève enfin le voile sur la fabrication de la « colle sous-marine ». Au terme d’une dizaine d’années de travail (dont une partie a été amorcée au moment de sa maîtrise, en Allemagne), son équipe et lui ont enfin réussi à identifier les mécanismes cellulaires impliqués. « Le processus exact permettant aux moules de produire leur substance adhésive nous échappait jusqu’à maintenant, puisque tout se passe à l’intérieur du pied de la moule, hors de vue», explique M. Priemel dans un communiqué de l’Université McGill.

Dans le pied de la moule, des protéines liquides sont condensées dans de tout petits sacs, des vésicules. Une fois injectées dans des canaux aussi fins qu’un cheveu, le fluide protéique se mélange à des ions métalliques, tels que le fer et le vanadium. Lorsque les substances sont combinées, le mélange durcit et la colle solide prend forme en seulement 2 à 3 minutes. Une super glue qui permet au mollusque bivalve de s’accrocher et de résister ainsi aux vagues et aux courants.

«La moule produit au moins six protéines différentes, qu’on appelle des MFPs (mussel foot proteins), et qui sont impliquées dans la formation de l’adhésif protéique», précise l’étudiant-chercheur en entrevue. Les ions métalliques, eux, sont extraits de l’eau de mer puis emmagasinés dans des vésicules. Une découverte inattendue, puisque très peu d’organismes sont connus pour accumuler le vanadium. Les chercheurs pensent d’ailleurs que cet ion métallique joue un rôle important dans le durcissement de la colle.

Cette découverte ouvre non seulement de nouvelles perspectives de recherche dans la construction et l’industrie, mais aussi dans le domaine médical, notamment en soins dentaires et en chirurgie. « C’est véritablement un défi de coller quelque chose dans des conditions humides. On pourrait s’inspirer davantage des moules pour développer un adhésif afin de recoller des tissus ou des plaies ouvertes», imagine Tobias Priemel. Une solution de rechange prometteuse aux agrafes et aux points de sutures, selon lui. «En fait, il existe déjà une colle chirurgicale inspirée des moules et approuvée par la Food and Drug Administration. C’est un polymère qu’on utilise spécifiquement en chirurgie prénatale, sur le fœtus encore dans le ventre de la femme enceinte», ajoute-t-il.

Quand pourra-t-on étendre l’usage d’une telle colle? Matthew Harrington, professeur agrégé au Département de chimie de McGill et co-auteur de l’article, estime qu’il s’agit avant tout de « combiner les bons ingrédients, dans les bonnes conditions et au bon moment. Mieux on comprendra le processus, mieux les ingénieurs pourront ensuite adapter ces concepts à la fabrication de matériaux inspirés du monde biologique ».