Outil de communication, arme défensive, point d’entrée pour des infections… dans le monde cellulaire, le sucre est bien plus qu’une gâterie. En fait, la surface de la plupart des cellules est parsemée de petites molécules de la famille des glucides.
« Ces sucres ont des rôles élaborés », explique Cécile Bousch, interrogée alors qu’elle terminait sa maîtrise en chimie à l’Université de Montréal. « Ils peuvent réguler et favoriser les interactions cellulaires, mais aussi être utilisés par des bactéries lors d’infections ou même comme outils par des cellules cancéreuses, poursuit celle qui est maintenant doctorante en biochimie à l’Université du Québec à Montréal. En biochimie, on utilise souvent l’image clé-serrure pour expliquer la façon dont deux molécules peuvent se reconnaître et interagir. Les sucres, ce sont des serrures qui donnent accès aux cellules. »
Malgré ces rôles cruciaux, on sait moins de choses sur les sucres qu’on en sait sur d’autres composantes des cellules. En fait, on les a longtemps boudés, principalement parce qu’on n’avait pas les bons outils pour les étudier.
Un problème en partie réglé grâce aux travaux de maîtrise de Cécile Bousch, effectués au laboratoire de Samy Cecioni, professeur au Département de chimie de l’Université de Montréal. L’équipe a récemment fait la preuve de concept d’un nouvel outil qui permet, grâce à la fluorescence, de détecter des contacts entre des sucres et une famille de protéines, les lectines. Ces dernières sont des sondes idéales : elles ont la particularité de reconnaître des sucres spécifiques et de s’y attacher de manière réversible. Cette méthode pourrait permettre de lever le voile sur un univers peu connu d’interactions cellulaires.
Problème d’éclairage
L’une des principales stratégies utilisées aujourd’hui pour observer différentes structures cellulaires est l’immunofluorescence. Elle consiste à combiner un agent fluorescent à un anticorps reconnaissant une cible précise à la surface de la cellule. L’anticorps fluorescent va se « coller » à la cellule et faire luire la cible, ce qui permet de visualiser ce qui serait normalement invisible au microscope.
Cette méthode est très utile lorsque vient le temps de détecter différentes protéines, mais la situation est plus complexe quand on veut étudier les sucres. Contrairement aux protéines, les anticorps ne les reconnaissent pas bien. Il fallait donc utiliser les « services » d’un intermédiaire : les fameuses lectines.
« Les lectines interviennent dans divers processus biologiques, comme la reconnaissance entre les cellules dans les réponses immunitaires, explique Samy Cecioni. Plus on étudie [les interactions] entre les sucres et les lectines, plus on se rend compte de leur importance incontournable dans la biologie ».
L’exemple d’une cellule immunitaire qui se dirige vers un site d’infection permet de bien illustrer l’interaction sucre-lectine. Lorsque vient le temps de quitter la circulation sanguine pour se rendre au foyer d’infection, la cellule immunitaire adhère à la paroi des vaisseaux sanguins grâce aux lectines présentes à sa surface qui s’accrochent aux sucres présents sur les cellules des vaisseaux. Elle « roule » donc sur ces parois jusqu’à son arrêt complet grâce à cette interaction « velcro ».
Et il n’y a pas que les cellules qui utilisent cette interaction à leur avantage. Certains virus, notamment celui de la grippe, sont couverts de sucres qui sont reconnus par des cellules et qui vont faciliter le contact entre les deux, permettant ainsi au virus d’infecter son hôte.
Il existe donc de nombreuses circonstances où les lectines d’une surface cellulaire adhèrent aux sucres d’une autre cellule… ou d’autre chose! Pour arriver à « voir » ces interactions, il fallait les surprendre sur le fait! L’équipe de l’UdeM a donc développé une sonde moléculaire en deux parties. D’abord, elle a mis au point une molécule photoréactive (c’est-à-dire qui émet de la fluorescence, lorsqu’excitée par la lumière). Cette sonde a ensuite pu être liée au type de sucre qu’on désire étudier.
Lorsque ce sucre « marqué » adhère à une lectine à la surface d’une cellule, il suffit d’exposer le tout à une certaine longueur d’onde pour déclencher une réaction qui va à la fois générer de la fluorescence, mais aussi lier toutes ces molécules ensemble de manière permanente. Une fois la réaction terminée, les liens sucre-lectines deviennent facilement visibles et donc beaucoup plus faciles à étudier.
Maintenant que la preuve de concept est faite, l’équipe rêve de créer une technologie encore plus complexe, capable de reconnaître de multiples interactions en même temps, afin de mieux comprendre des processus cellulaires difficiles à étudier, comme l’internalisation de récepteurs par exemple. Un espoir qui s’apparente à une vraie rage de sucre… à l’échelle biochimique.