Un gel injectable qui répare les cordes vocales

Des chercheurs ont conçu un biomatériau qui pourrait aider à réparer les tissus toujours en mouvement, comme les cordes vocales.

Chloé Bourquin 

100 à 300 fois par seconde : c’est la fréquence à laquelle nos cordes vocales vibrent lorsque l’on parle. Pour réaliser cette prouesse, elles doivent être à la fois souples et très résistantes. En cas de lésion, à la suite d’un cancer par exemple, les cordes vocales se réparent difficilement : les cicatrices, plus rigides que le tissu d’origine, peinent à suivre la cadence. « Selon la gravité de la blessure, le patient peut avoir une voix plus rauque ou même la perdre complètement », souligne Guangyu Bao, doctorant au Département de génie mécanique de l’Université McGill.

Dans une étude publiée en 2021 dans Advanced Science, le doctorant et son équipe ont mis au point un hydrogel qui pourrait aider à réparer les cordes vocales. Injecté au niveau d’une lésion à l’aide d’une seringue, il pourrait agir comme un pansement et prendrait la place du tissu manquant pour faciliter sa cicatrisation.

Pour mieux comprendre les particularités de ce biomatériau, il faut se pencher sur sa composition chimique. Constitué à 90% d’eau, il possède de longues molécules qui s’enchevêtrent pour former deux réseaux entrelacés, comme les mailles d’un tricot. Le premier, dur et cassant, s’associe au second, mou et extensible. Ces deux réseaux combinés donnent un matériau à la fois souple et résistant, à l’image des cordes vocales.

Les propriétés étonnantes de cet hydrogel ne s’arrêtent pas là. Afin de réparer les cordes vocales de façon durable, il faut que le matériau soit poreux comme une éponge. « Les cellules doivent pouvoir y circuler librement pour produire un nouveau tissu, qui viendra peu à peu remplacer l’hydrogel », explique le doctorant. L’idée est qu’en un à deux mois, l’hydrogel ait disparu pour laisser la place à du tissu neuf et souple, soigneusement reconstruit par les cellules.

« Si ses pores sont trop larges, l’hydrogel risque d’être fragilisé et de se rompre, soutient Guangyu Bao. Il faut donc trouver un compromis entre porosité et résistance du matériau ». Pour rendre l’hydrogel poreux (mais pas trop), il a choisi un matériau qui se comporte différemment selon la température et l’acidité du milieu. À température ambiante et dans un milieu acide, l’hydrogel est liquide ; mais juste après l’injection, à 37°C et en milieu neutre, « il rejette une partie de l’eau qui le compose et adopte une structure en forme d’éponge, similaire aux tissus des cordes vocales », détaille le doctorant. Les cellules peuvent alors investir ces pores nouvellement formés et commencer leur travail de cicatrisation.

Pour le moment, ce biomatériau a seulement été testé en laboratoire, où les chercheurs ont reproduit les conditions extrêmes imposées par les cordes vocales. Un nouveau projet de recherche sera bientôt lancé pour mesurer ses performances dans des conditions réelles, sur des animaux. Guangyu Bao soutient également qu’il pourrait aussi être utilisé pour réparer d’autres tissus constamment en mouvement, comme ceux au niveau du cœur.

L’aspect le plus novateur de cet hydrogel est qu’il présente « une belle élasticité, une forte ténacité et une grande résistance », souligne Sophie Lerouge, professeure à l’École de technologie supérieure de Montréal, qui n’a pas participé à ces travaux. Elle soulève cependant un bémol sur le plan biologique. Selon elle, les cellules pourront circuler dans l’hydrogel, mais pourront-elles y survivre ? « Pour assurer une bonne survie cellulaire in vivo, il faut que le matériau puisse être irrigué par des vaisseaux sanguins, pour apporter les nutriments et l’oxygène nécessaires aux cellules, explique-t-elle. Or, rien ne prouve que ce sera le cas ici. La porosité est trop faible pour cela. » Elle précise toutefois que ce nouvel hydrogel offre d’excellentes opportunités pour fabriquer des tissus in vitro.