L’été 2023 est entré dans les livres d’histoire comme le plus chaud jamais enregistré. Au Canada, cela s’est traduit par un nombre record de feux de forêt. Depuis mai, plus de 6000 feux ont détruit une superficie boisée immense, équivalente à la taille de l’État de la Floride!

L’imposant panache de fumée qui en a résulté a dégradé la qualité de l’air non seulement au Canada, mais dans plusieurs régions des États-Unis, et parfois même jusqu’en Europe. Une situation appelée à se reproduire, puisque le réchauffement climatique aggrave les trois principaux facteurs à l’origine des feux de forêt : la disponibilité de combustible sec, la fréquence de la foudre et le temps sec et venteux qui propage les flammes.

Pour mieux comprendre les risques de l’exposition à cette fumée, Québec Science s’est entretenu avec Parisa Ariya, professeure de chimie océanique et atmosphérique à l’Université McGill.

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Québec Science: Avez-vous été surprise par l’ampleur des feux et de la fumée qui les a accompagnés cette année?

Parisa Ariya : Je n’étais pas étonnée du tout. Quand l’humidité est basse, avec de l’air sec et une température qui augmente, on voit toujours augmenter la fréquence, l’intensité et aussi le nombre de feux de forêt.

Malgré tout, l’ampleur des feux de cette année a été exceptionnellement élevée. On a perdu plus de 170 000 kilomètres carrés de forêt, ce qui est incroyable. On n’a pas encore rattrapé les plus grands records, comme les feux qu’on a vus dans les forêts en Russie durant la dernière décennie, mais on s’en approche. Et l’année n’est pas encore finie, donc c’est extrêmement préoccupant [la « saison » des feux s’étend jusqu’à la fin d’octobre au Canada].

QS Vous avez étudié la composition chimique de la fumée des feux des derniers mois. Avez-vous constaté des différences avec les années précédentes?

PA La fumée des feux de forêt est une soupe de nombreux gaz et particules solides, dont beaucoup sont de très petite taille. Outre le monoxyde ou le dioxyde de carbone, on y trouve aussi des gaz contenant du soufre, des particules fines de carbone, certains métaux ou plastiques, bref toutes sortes de nanoparticules. Ce sont des multitudes de catégories, qui peuvent avoir des effets très différents en matière d’absorption de la lumière ou de toxicité.

La fumée contient aussi de nombreuses molécules émergentes dont on ne connaît pas encore les effets sur la santé. C’est d’ailleurs pour ça que quand des autorités de santé publique disent qu’il est préférable de rester à la maison, il faut le faire.

Mais ce qui m’a frappée cette année, c’est à quel point la composition de la fumée peut changer rapidement. Un feu qui brûle en pleine forêt génère une fumée différente de celle produite par un feu qui s’approche ou pénètre dans une zone urbaine. Quand des bâtiments brûlent, la quantité de métaux lourds et surtout de micros et nanoplastiques dans la fumée augmente de façon importante. On peut aussi imaginer que des produits pharmaceutiques, ou même des produits d’origine militaire pourraient s’être retrouvés ainsi dans l’air, sans qu’on en connaisse les effets sur l’environnement ou la santé.

C’est ce phénomène de molécules émergentes qu’il est important de mieux connaître : quels sont les différents types d’environnements qu’on retrouve près d’un feu, quelles sont les probabilités que ces différents secteurs soient touchés et comment cela peut modifier la composition de ce qui se retrouve dans l’air. C’est une vraie boîte de Pandore qui a été ouverte.

QS On a aussi remarqué que cette fumée voyage très loin. Quelles conséquences cela peut-il avoir ?

PA L’air est un fluide qui se déplace très rapidement. Et plus les particules sont petites, plus elles peuvent parcourir de grandes distances. Certaines peuvent avoir des effets régionaux, et d’autres, des effets globaux. C’est ainsi qu’on a vu des effets de nos feux de forêt jusqu’en Europe.

Mais ces effets varient selon plusieurs facteurs. Certains sont météorologiques : les particules plus lourdes peuvent être influencées par les vents, qui les portent plus loin, ou la pluie qui les fait tomber. D’autres sont de nature chimique. L’exposition à la lumière du soleil ou le contact avec les autres gaz et particules déjà présents dans l’atmosphère peuvent transformer les molécules dans la fumée. Les nouvelles substances ainsi créées ont des propriétés et une toxicité différentes.

Suivre ce genre d’évolution nécessite de développer des modèles et des technologies sophistiquées. C’est ce qu’on a réussi à faire dans mon laboratoire, notamment en développant un microscope laser nommé Nano-DIHM. Il permet de suivre l’évolution dans le temps de nanoparticules de moins de 100 nanomètres circulant dans l’air. Ce genre d’appareil va permettre de prendre des données sur le terrain et de raffiner les modélisations numériques pour avoir une meilleure idée de ce qui se passe en temps réel.

QS On a aussi vu que la fumée pouvait s’accumuler à certains endroits. En juin, par exemple, Montréal a été considérée pendant 24 heures comme une des villes les plus polluées du monde.

PA Je n’aime pas parler de ville la plus polluée. Même si on a battu des records pendant une journée, nos villes n’ont jamais, en moyenne, été les pires, tout comme elles n’ont jamais été les meilleures. Ce que cette accumulation ponctuelle de fumée doit nous faire réaliser, c’est que certains endroits sont plus susceptibles de devenir des « points chauds » de pollution.

Par exemple, à Montréal, l’aéroport est presque dans la ville, ce qui émet déjà une grande quantité de particules fines dans l’air. Idem pour le nombre d’autoroutes, qui se concentrent dans un espace relativement restreint. Tout cela contribue aux émissions locales de polluants et favorise une mauvaise qualité de l’air. Dans ces conditions, la ville est moins résiliente à des perturbations venant de l’extérieur. Si on ajoute une arrivée de polluants, comme ça a été le cas avec les feux l’été dernier, la qualité de l’air s’effondre.

C’est donc très important, pour toutes les villes, de réduire les émissions locales de polluants afin d’augmenter leur résilience. Les solutions, on les connaît, il faut seulement du courage politique pour les appliquer.