Le carbone noir, un polluant atmosphérique nuisible pour la santé et pour le climat, est détecté en grande concentration dans les villes nordiques.
Par Annie Labrecque
Quel est l’effet de la saison froide sur les polluants atmosphériques en ville? C’est ce qu’ont voulu établir Houjie Li et Parisa A. Ariya, des départements de chimie et des sciences atmosphériques et océaniques de l’Université McGill, en se penchant sur la qualité de l’air entre juillet 2019 et juin 2020.
À l’aide d’instruments, comme un extinctiomètre photoacoustique, qui collectent les données en temps réel, les scientifiques ont suivi la variation des concentrations de carbone noir, un polluant émis sous forme d’aérosols par la combustion de bois et de combustibles fossiles, au centre-ville de Montréal et dans les zones résidentielles à proximité de l’aéroport.
Ils ont d’abord été surpris par l’ampleur de la présence de carbone noir. La concentration dans l’air pouvait atteindre 0,433 μg/m3 en hiver. La persistance de ce polluant pendant la période hivernale, dont les chercheurs ignorent la cause, était également étonnante. « Nous avons constaté que la concentration annuelle de carbone noir présente une distribution bimodale dans les villes nordiques : un pic en été et un autre en hiver. Le pic hivernal peut même durer pendant plus de trois mois. C’est un phénomène qui n’arrive pas dans les endroits plus chauds ou tempérés. Cela signifie que le carbone noir est en concentration plus élevée et pendant une plus longue période dans les villes nordiques », explique Parisa A. Ariya, coauteure de l’étude publiée dans le Journal of Geophysical Research: Atmospheres.
Pourtant, pendant qu’il neige, le carbone noir est moins présent dans l’air. Les flocons emprisonnent ce polluant. « Cependant, il s’agit d’un phénomène temporaire et les particules de carbone noir sont ensuite distribuées à nouveau dans l’atmosphère », explique la chercheuse de McGill.
En s’attardant sur les données pour toute l’année, les scientifiques ont découvert que les concentrations de carbone noir à côté de l’aéroport de Montréal étaient quatre fois plus élevées qu’au centre-ville, qui est pourtant déjà pollué (moyenne de 0,344 μg/m3). « Montréal pourrait vraiment bénéficier d’une meilleure gestion de la qualité de l’air autour de ses principales sources de pollution, comme l’aéroport international de Montréal », juge Parisa A. Ariya.
Rappelons que ce polluant peut avoir des répercussions néfastes pour la santé. « Il a été démontré que l’inhalation de carbone noir est associée à des problèmes de santé, notamment des maladies respiratoires et cardiovasculaires, des cancers et des malformations congénitales », indique Parisa A. Ariya.
Qu’en est-il de ses conséquences sur le climat? La chercheuse mentionne que ce polluant possède un effet de 460 à 1 500 fois plus important que le CO2 sur le réchauffement planétaire. « Lorsqu’il est en suspension dans l’atmosphère sous forme d’aérosols, le carbone noir contribue au changement climatique en transformant le rayonnement solaire en chaleur. Il a également une influence sur la formation des nuages et la distribution des précipitations », ajoute-t-elle.
La pandémie, court répit
Grâce à la pandémie, les chercheurs ont pu confirmer l’effet des activités humaines sur les concentrations de carbone noir. Le ralentissement du transport aérien et routier pendant les premiers mois a influencé la qualité de l’air. « La concentration de carbone noir et de certains copolluants a diminué, et ce jusqu’à 72% », souligne Parisa A. Ariya.
Puisqu’il s’agit de la première étude s’attardant au carbone noir dans un climat froid, la chercheuse espère que ces résultats inciteront les décideurs à améliorer leurs politiques. « La réglementation actuelle du gouvernement du Canada ne tient pas compte de l’impact de la neige et du climat froid dans sa politique de qualité de l’air », soutient-elle.
Il faudra assurément plus de données pour convaincre le ministère de l’Environnement et de la lutte contre les changements climatiques du Québec. « Ce type d’information, bien qu’intéressant, n’influence pas le développement des normes de qualité de l’atmosphère pour les contaminants », a commenté un scientifique du ministère par courriel (le ministère a refusé de révéler son nom).
En 2020, environ 29 kilotonnes de carbone noir ont été émises dans l’atmosphère, selon un rapport du gouvernement canadien.