Par Fanny Rohrbacher

Revêtements antiadhésifs de poêles, tissus résistants aux taches, mousses d’extincteur, emballages alimentaires, cosmétiques… Les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques, encore appelées PFAS, sont largement utilisées dans des produits de la vie courante. Cette grande famille de molécules organiques, contenant des atomes de fluor, est d’origine purement synthétique mais peut interférer avec nos hormones et pourrait bien augmenter le risque de cancer.

Si on les surnomme « produits chimiques éternels », c’est parce qu’ils persistent dans l’environnement durant des années. « Ils sont partout ! On les retrouve dans les pays tropicaux, les pays tempérés, aux pôles, dans l’eau, dans l’air, dans les organismes vivants », constate Marc-André Verner, professeur agrégé au Département de santé environnementale et santé au travail de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, membre du Centre de recherche en santé publique.

Dans son étude, publiée dans Environmental Health Perspectives en février, le chercheur et son équipe ont estimé la concentration des PFAS dans le lait maternel, à partir des taux mesurés dans le sang et de données portant directement sur le lait. Ils ont trouvé que, chez certaines femmes, la concentration peut être jusqu’à cent fois supérieure à celle présente dans l’eau potable. « Au cours de sa vie, la mère est exposée à plusieurs de ces contaminants. Et plus elle est exposée, plus les concentrations dans son organisme augmentent. Pendant la grossesse, une partie de ces contaminants accumulés vont passer au fœtus par le placenta. Mais la plus forte dose est transmise pendant l’allaitement », explique le chercheur. Ce qui préoccupe la communauté scientifique, c’est qu’à ce moment-là, l’organisme est en plein développement. Une exposition à une telle substance peut ainsi avoir des effets persistants chez les enfants. « Si on perturbe un processus de développement, il est possible que certains organes ou fonctions ne se développent pas complètement et qu’il y ait des répercussions plus tard dans la vie », s’inquiète M. Verner. « Mais notre étude ne doit en aucun cas décourager les femmes d’allaiter car les bénéfices restent supérieurs aux risques », martèle le chercheur.

Élyse Caron-Beaudoin, professeure adjointe en santé environnementale à l’Université Toronto Scarborough, qui n’a pas participé à l’étude, rappelle que c’est le C8 Health Project, mené en 2009 aux États-Unis, qui a sonné l’alarme sur les PFAS. Les scientifiques avaient alors mesuré l’exposition à certains de ces contaminants dans les échantillons sanguins de 69 000 participants et ont suivi leur état de santé pendant plusieurs années. Ils ont trouvé une corrélation entre l’exposition aux PFAS et plusieurs affections, dont des troubles thyroïdiens, la colite ulcéreuse, l’hypertension pendant la grossesse, l’hypercholestérolémie, le cancer du rein et celui des testicules. « Ça a eu un effet boule de neige et d’autres études ont vu le jour par la suite. C’était l’étincelle qui a fait que la communauté scientifique s’est dit qu’il fallait peut-être s’intéresser aux PFAS », relate la chercheuse.

Même si bon nombre de ces contaminants sont aujourd’hui interdits dans beaucoup de pays, ils sont remplacés par d’autres PFAS dont les effets sur l’environnement et la santé sont encore mal compris. En Amérique du Nord, les compagnies doivent démontrer l’innocuité des produits avant de les mettre sur le marché. « Mais les tests sont très limités. Souvent, on se rend compte seulement par la suite des effets potentiels sur la santé humaine », déplore M. Verner. La solution serait alors de mieux encadrer les usages des PFAS, voire de s’en passer quand c’est possible. « Rendre une poêle antiadhésive, ce n’est pas nécessaire. S’assurer que le gras du popcorn ne traverse pas le sac dans le micro-ondes, ce n’est pas nécessaire non plus. Parfois, en revanche, il faut des solutions de rechange efficaces, comme dans le cas des mousses pour éteindre les feux d’huile », indique le chercheur.

Son étude soulève un besoin criant de recherches sur les PFAS. « L’exposition n’est pas anodine, elle se produit à des niveaux qui nous préoccupent. L’idéal serait de quantifier les risques et de trouver des façons de réduire l’exposition. Mais pour l’instant, je pense que documenter la situation nous donnerait une meilleure idée de comment nous y attaquer », estime le scientifique, qui lance d’ailleurs une nouvelle étude sur des échantillons de lait maternel présélectionnés par la banque de lait d’Héma-Québec.

Le cas du lait maternel est un « excellent exemple de zone grise » sur lequel la communauté scientifique doit se pencher, estime de son côté Mme Caron-Beaudoin. Elle est cependant convaincue qu’il ne faut plus attendre pour aller de l’avant dans la réglementation. « On a certainement assez d’informations concernant les PFAS, tant au niveau de l’exposition que des effets potentiels sur la santé, en termes épidémiologique et toxicologique. Je pense que c’est un système de valeurs qu’il faut changer, plus que la quantité et la qualité des études publiées », conclut la chercheuse.