L’aluminium jouerait un rôle important dans l’efficacité de la « pompe à carbone » que constituent les océans.

Et si l’aluminium aidait les océans à mieux séquestrer le dioxyde de carbone en favorisant la croissance du phytoplancton et en ralentissant sa dégradation ? C’est ce que suggèrent les résultats obtenus par des chercheurs chinois et québécois. Menée par Linbin Zhou, de l’Académie chinoise des sciences, l’équipe, dont font partie les Québécois Claude Fortin et Peter G.C. Campbell de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), a récemment publié ses découvertes dans la revue Limnology et Oceanography.

Rappelons qu’à eux seuls, les océans absorbent chaque année plus du quart du CO2 émis par les activités humaines. Leur arme secrète : le phytoplancton, ces organismes microscopiques qui utilisent le gaz carbonique pour croître grâce à la photosynthèse. Ce faisant, ils stockent du carbone. Mais lorsque ce phytoplancton, en fin de vie, se sédimente au fond des océans, il est dégradé par les bactéries, ce qui libère à nouveau du CO2.

Les scientifiques ont découvert que l’aluminium, jusqu’ici ignoré par les modèles, joue en fait un rôle important dans ce cycle du carbone.

En laboratoire, les chercheurs ont testé l’effet de différentes concentrations d’aluminium dans l’eau sur trois espèces de diatomées, des algues unicellulaires formant la base du phytoplancton. Au terme de leur expérience, ils ont constaté qu’une quantité modérée d’aluminium augmentait le nombre de cellules produites, leur grosseur et leur densité, permettant ainsi une plus grande fixation du carbone.

On ignore toujours les mécanismes en jeu, mais les scientifiques ont une hypothèse. « Nous pensons que l’aluminium joue un rôle indirect dans la prise en charge du fer et aussi du phosphore, indique Claude Fortin, chercheur à l’INRS et coauteur de l’étude. Il aurait donc un rôle dans la croissance du phytoplancton et dans sa résistance à la dégradation. » Car lorsque les diatomées ont grandi en présence d’aluminium, leur détérioration est passablement plus lente.

« Les diatomées ont un frustule [une coque] de silice qui fait que la cellule est très rigide, indique Claude Fortin. Nous pensons que lorsque l’aluminium s’insère dans ce frustule, cela forme une espèce d’alliage qui la rendrait encore plus résistante. »

Ainsi, l’aluminium permettrait une plus grande fixation du carbone tout en ralentissant son relâchement par la suite. Cela suggère que l’aluminium pourrait jouer un rôle dans l’efficacité des océans à « pomper » le carbone de l’atmosphère.

L’aluminium est l’élément métallique le plus abondant sur la surface de la Terre. Pourtant, on le considère rarement comme important. Pour Kyra St. Pierre, candidate au postdoctorat en biogéochimie à l’Institut des Pêches et Océans de l’Université de Colombie-Britannique, ces travaux mettent en lumière le rôle déterminant que joue cet élément dans la biologie des océans.

« Le phytoplancton a besoin de plusieurs éléments, dont le fer, pour croître et être en santé. Nous avons donc tendance à penser que ceux-ci doivent être présents en grande quantité ; mais il y a une panoplie d’autres éléments – et l’aluminium en fait partie – qui peuvent permettre au phytoplancton de mieux les absorber. Les auteurs de l’étude proposent des mécanismes très concrets pour expliquer la façon dont l’aluminium aide à l’absorption de ces éléments. C’est très intéressant. »

Pour valider l’hypothèse « fer-aluminium » avancée par les chercheurs, davantage de travaux seront nécessaires. Si elle s’avère, l’aluminium pourrait bien être un nouveau paramètre à prendre en compte dans l’équation complexe des changements climatiques.