Antioxydants et absorbants ultraviolets sont des mots qui inspirent généralement confiance sur nos pots de crème, qu’elles soient cosmétiques ou solaires. Mais une fois dans la nature, ces composés rejoignent plutôt la grande famille des contaminants émergents, des substances pour lesquelles les risques réels sont peu connus.

Ces deux familles chimiques sont pourtant partout, sous la forme d’additifs qui prolongent la durée de vie d’un produit ou de son contenant. « Les additifs sont une problématique complexe, explique Abigaëlle Dalpé-Castilloux, première auteure d’une étude sur le sujet parue dans Environmental Science & Technology. Ils ne sont pas bien étudiés, surtout aux concentrations auxquelles on les retrouve dans l’environnement. Quand on évalue les risques en laboratoire, c’est souvent à des concentrations plus élevées et ils ne se comportent pas nécessairement de la même façon dans la nature. »

C’est pourquoi une étude de terrain sur le sujet s’imposait. Lors de sa maîtrise dans le laboratoire du professeur Zhe Lu, de l’institut des sciences de la mer, à l’UQAR, Abigaëlle Dalpé-Castilloux a évalué la présence des absorbants ultraviolets et des antioxydants industriels dans le fleuve Saint-Laurent.

Pour y parvenir, le duo et d’autres collègues ont ratissé large! Échantillons d’eau, matière en suspension, sédiments et même d’espèces de poissons : rien n’a été laissé pour compte. « On voulait couvrir plusieurs possibilités, précise Abigaëlle Dalpé-Castilloux. Des poissons nageant près de la surface, par exemple, seront exposés aux contaminants fixés aux particules en suspension, tandis que les poissons de fond seront plus exposés à ceux liés aux sédiments. Tout cela peut faire varier l’exposition réelle à un contaminant ».

Dans leur étude, en comparant des échantillons pris en amont et en aval de l’île de Montréal, les scientifiques ont confirmé pour la première fois que des antioxydants industriels et des absorbants ultraviolets sont détectables dans le fleuve, mais aussi que la ville en est une importante émettrice. Certains de ces contaminants ont même été retrouvés chez les deux espèces de poissons suivis dans l’étude, soit le grand brochet et l’esturgeon jaune.

« Le BHT, un antioxydant industriel, a été retrouvé dans le cerveau du grand brochet, alors que l’UV328, a été observée chez l’esturgeon jaune, explique le professeur Lu. On ne connaît pas l’ampleur de leurs effets chez l’animal, mais leur simple présence est préoccupante. Selon le degré d’exposition, on suspecte certains d’être des perturbateurs endocriniens [c’est-à-dire des substances qui interfèrent avec le système hormonal], d’avoir un effet sur des organes comme le foie ou même d’être génotoxiques. » Mieux connaître leur distribution est donc crucial pour en déterminer le risque.

Point positif : les scientifiques ont remarqué que certains contaminants ne s’accumulent pas autant dans les êtres vivants qu’on ne l’aurait cru. « C’est possible de modéliser la distribution de contaminants en se basant sur leurs propriétés chimiques, précise le professeur Lu. Selon ces modèles, certains contaminants devraient se bioaccumuler, mais sur le terrain, on ne le voit pas. Cela veut dire que certains poissons peuvent dégrader ces produits. C’est quelque chose qu’on ne savait pas et qu’on devra étudier ».

Pour le professeur Marc Amyot, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie et changements mondiaux de l’Université de Montréal, même si la concentration des contaminants détectés lors de l’étude n’est pas un problème en soi, ils viennent quand même s’ajouter à la longue liste des polluants présents dans le fleuve

« Ce genre de travaux ouvre la voie vers une problématique plus grande, juge le chercheur. L’état du fleuve s’est beaucoup amélioré ces dernières années, mais on est maintenant face à de nouveaux contaminants avec des propriétés différentes, favorisant de nouvelles interactions qu’on ne comprend pas tout à fait. Est-ce que ces contaminants émergents vont réagir de façon synergique, antagoniste, additive? C’est un tout nouveau domaine qui va demander beaucoup de recherche ».

Un peu comme le pharmacien qui protège le patient d’interactions médicamenteuses nocives, le chimiste environnemental de demain devra donc comprendre les risques posés par les interactions de contaminants qui se retrouvent dans nos cours d’eau.